mercredi 17 juin 2009






LE TOUCHER AFFECTIF " dialogue tactile infraverbal "

"Je trouvois que de tous les sens, l'oeil était le plus superficiel, l'oreille le plus orgueilleux, l'odorat le plus voluptueux, le goût le plus supersticieux et le plus inconstant, le toucher le plus profond et le plus philosophe.

(Cadillac Etienne de Bonnot 1754 ) d'après le traité des sensations

  • Comprendre le toucher

Le toucher construit notre personnalité. De nombreux pédiatres ou psychologues estiment que le foetus a des sensations, notamment tactiles avant la naissance.

Le fait que le foetus se touche très tôt participe à la formation de sa conscience.

Le toucher instruit les autres organes des sens, ainsi le nouveau-né entend des sons au moment de l'accouchement (qu'il percevait atténués dans son milieu intra-utérin) s'accroîtrent en même temps qu'un quelque chose le tire et le touche.

Avec la vieillesse, les sons s'affaiblissent, mais par le souvenir, ils résonnent encore en nous.

Ce toucher affectif intra-utérin des premiers jours de la vie, se rapproche de la relation d'aide prodiguée au patient en fin de vie, le mourant est souvent en quête de ce toucher affectif.


Dans ce type d'approche il faut accepter de toucher et de se laisser toucher physiquement pour être touché psychologiquement. L'adulte qui dans son enfance a été sensibilisé à un délicieux mélange d'odeurs et de caresses recherche inconsciemment cette attrayante combinaison en son ou sa partenaire. A contrario, il peut rejeter une senteur qui pour lui a été synonyme d'inconfort notamment tactile.

En cela le toucher a l'avantage sur la vision de rassurer. Le toucher existe grâce à la peau, qui est son organe sensoriel, en trois ou quatre semaines notre peau se renouvelle complètement, véritable trésor de récepteurs sensoriels avec environ 720 000 terminaisons nerveuses et 50 récepteurs par millimètre carré, capables de nous faire sentir des stimulis très complexes, le froid, la douleur, la chaleur, le contact " pour montrer son amour, on frôle, on câline, on caresse "

La peau est un des éléments essentiels du fondement de notre personnalité, elle est l'interface entre ce qu'est l'individu et l'extérieur, elle agit comme une carte d'identité " couleur, rides, cicatrices, tatouages" elle indique notre origine, notre vécu, notre souffrance, nos faits de gloire...

La peau est un livre ouvert aux yeux de l'autre, à cet égard je vous recommande le livre de H.P JEUDY " le corps comme objet d'Art "

Les rides reflètent notre personnalité, notre humeur, ainsi " la ride du lion " entre les sourcils signale un caractère anxieux, les rides sont le témoignage d'une vie qui passe et ébranle mieux que tout discours, le mythe de l'éternelle jeunesse. Je vous conseille le livre de J. Maisondieu

" le crépuscule de la raison ".

Les cicatrices aussi racontent un chapitre de vie qu'elles soient dissimulées du regard "représentatives d'un moment glorieux de notre vie " ou pratiqués volontairement " scarifications rituelles " symbolisant la virilité.

Le tatouage " ce terme créé à la fin du XVIII siècle émane des mots tahitiens TA voulant dire DESSIN et TATOUA signifiant ESPRIT.

Il est mode d'expression et d'affirmation de la personnalité, signe d'appartenance idéologique ou expérentielle commune " prisonniers, militaires, bandes " le contrôle du corps est un phénomène courant chez l'ado qui veut singulariser son corps en le narguant dans sa chair. A lire

( les métamorphoses du corps ) de F.Borel.

Un certain nombre de spécialistes pensent que le toucher est le premier sens à apparaître et le dernier à disparaître.


  • FONDEMENTS DU DIALOGUE INFRAVERBAL

Dans toutes les espèces animales, le toucher est le seul sens présent, il a une propriété "de permanence " nous pouvons nous isoler de tout, contact auditif, visuel, gustatif, ou odorant mais pas " du tact ". Je vous recommande à ce sujet " le moi peau " du Dr Andrieu, le toucher n'a pas besoin d'intermédiaire à la différence des autres sens, pour être perçu, effectivement le goût exige l'humidité de la langue, l'ouïe et l'odorat ont besoin que l'air propage les ondes sonores et les molécules odorantes, la vue requiert la lumière pour saisir l'expression de l'autre.

Le toucher est le sens de la certitude par excellence, il confère la conscience de la réalité, il matérialise les choses qui nous entourent, les rendant concrètes et réelles.

Le toucher est immédiateté, en possédant une qualité de réflexivité nous sommes dans l'expérimentation du " touchant-touché " nous ne pouvons toucher l'autre sans nous toucher!

A noter que la personne qui refuse ou qui craint le toucher, réduit son espace et se concentre sur son propre corps. Cette attitude dénote très souvent un comportement introverti, de la timidité, une difficulté d'adaptation à l'entourage et à l'environnement, ce peut être aussi une problématique non exprimée.

En touchant l'autre, nous allons de notre corps vers un corps autre, un corps social, le corps s'étend par le contact, il pénètre dans un autre espace, d'où une extériorisation des sentiments.

Se laisser toucher c'est être capable de s'émouvoir, de s'ouvrir à soi-même et d'accueillir l'autre comme révélateur de nous-même. René Spitz dans les années 1950, a décrit les effets nocifs liés au placement dans les premiers âges de la vie, sans toucher affectif. Il a nommé ce phénomène " l'hopitalisme " il expliquait comment les touts-petits placés dans des centres de Pédiatrie recevant tous les soins tehniques, alimentaires, etc...nécessaires à leur survie mais sans affection, se laissaient dépérir. Cependant si l'enfant n'en mourait pas, il pouvait néanmoins développer des troubles comportementaux à l'âge adulte, liés à l'absence de Toucher bienveillant. Cette notion peut s'étendre aux personnes âgées institutionnalisés qui , sans affection se laissent mourir.

  • LE LANGAGE DES MAINS, DIALOGUE SENSITIF

L'échange tactile entre deux personnes s'accomplit essentiellement par la main. Grâce à sa sensibilité et sa finesse, elle permet d'étudier et d'analyser la chair de l'autre. Un langage infraverbal s'établit, la main bien que muette nous parle, nous renseignant sur l'humeur de l'autre...indifférente, évasive, agacée, impatiente, brutale, nerveuse, douloureuse, aimante, caressante, désireuse...à travers notre main nous pouvons percevoir les sentiments de l'autre, celui qui souffre " son for intérieur " de même nous lui transmettons notre tension émotionnelle.

Lorsque nous touchons en éprouvant un sentiment de répulsion ou de dégoût pour l'autre, celui-ci perçoit cette répulsion...la main agit comme un sismographe de nos réactions affectives.

Physiologiquement, la main occupe une place importante de la représentation corticale ( système moteur ou sensoriel ) la pulpe de l'extrémité des doigts compte près de 250 récepteurs au cm² , à ce titre la main n'est pas qu'un organe de sensation, elle est aussi un prodigieux outil de notre intelligence, elle aide notre cerveau à concevoir, à construire, car l'intelligence a besoin de la main pour développer. La main est le prolongement de notre esprit car elle réalise ce que nous pensons, elle traduit nos pensées...mais plus encore, la main traduit notre inconscient et notre personnalité comme le montrent les études graphologiques.

  • TOUCHER POUR SOIGNER LE CORPS ET L'ESPRIT

Qu'il soit simple contact, un massage, une caresse, un baiser, un pincement, chaque toucher apporte son propre message entre le touchant et le touché. Nous pouvons percevoir l'émotion de l'autre par l'intensité, la durée, la fréquence, la prégnance, la localisation. Ces données déterminent " le ton " et " la parole " du langage tactile, ainsi une personne qui effleure rapidement sans un mot marque plus ou moins son indéfférence, alors que celle qui caresse l'autre en variant sa prégnance, pendant de longues minutes, fait part de son attention et de son attachement.

Un personne qui ne peut plus s'exprimer en raison d'aphasie, de démence, ou de l'approche de l'indicible, émet des signaux tactiles tels que la moiteur des mains, la chaleur, la froideur, l'intensité du serrage manuel.

Le toucher permet de confirmer la parole, par exemple le malade qui refuse de mourir, va s'accrocher désespérément au bras de celui qui lui rend visite, il serre la main tendue, la retient comme s'il retenait sa propre existence. Par ce contact, un fluide de vie circule et crée un lien vital, en associant un regard long et bienveillant au toucher, la personne se sent considérée et revalorisée dans sa quête.

  • TOUCHER AVEC SON COEUR

De tous les sens, le toucher est le plus empathique ca il établit la proximité avec l'autre. L'empathie n'est pas une immitation, elle est la compréhension de la souffrance de l'autre. Le terme " empathie " est constitué de " en " signifiant dedans et de " pathie " ce qu'on éprouve. L'empathie requiert disponibilité et sérénité intellectuelle. Le toucher empathique ne s'apprend pas, il demande du bon sens, de l'écoute, de l'intuition, de la créativité. Il est impératif de tenir compte du vécu antérieur, des coutumes et de la spiritualité de la personne.

Certains thérapeutes pratiquent leur discipline comme une science et non comme un Art, ils ne lisent que les résultats d'examens, discutent entre confrères, en omettant de toucher ou de discuter avec le malade ( patient ) il peut se sentir alors nié ou ignoré dans sa crainte.

Dans le toucher empathique il est essentiel d'être suffisamment proche du patient ( souffrant ) pour être solidaire et le lui faire sentir....et suffisamment loin afin de ne pas être blessé psychologiquement et garder son objectivité.

Dans la relation d'aide, l'esprit pénètre la barrière entamée, pour comprendre et partager le ressenti de l'autre, mais il ne peut ni se fondre, ni fusionner avec lui. Le toucher empathique réclame authenticité, chaleur humaine, respect, et une synchronie parfaite. Carl Rogers parlait de sincérité, intégrité, transparence dans les rapports, reconaissance de l'indépendance de la personne, respect de sa différence ou des aspects changeants de sa personnalité.

  • LE TEMPS D'UNE CARESSE...

La caresse...toucher doux et tendre, peut-être amicale, maternelle, érotique. Elle se retrouve dans toutes les sociétés humaines. La caresse est vécue différemment entre celui qui la prodigue et celui qui la reçoit. Exprimant l'empathie ou la tendresse, elle apaise, détend, rassure, à contrario, dans la relation amoureuse, elle peut devenir stimulante, pour ne pas dire excitante.

Les mouvements caressants de la main véhiculent des messages d'attention, de tendresse, d'amour...comme l'a si bien décrit Paul Valéry, les caresses apportent calme et réconfort. Chez l'adulte, la caresse peut devenir régressive lorsqu'elle est assimilée au souvenir de la caresse maternelle et protectrice, c'est ce type de caresse qui est le plus souvent recherché dans les moments ultimes.

Ce toucher relationnel affectueux, rappelle les instants heureux de la petite enfance et l'union étroite avec la mère. La caresse ainsi prodiguée peut-être considérée alors comme soin psychologique.

De la maman qui étreint son nouveau-né au mourant à qui on tient la main, il est quasi indicible de traduire l'intensité de l'émotion qui touche l'être au plus profond de lui...

Combien d'entre nous, quand les mots se taisent, ressentent cette tendresse, cette union corps/esprit qui s'exprime par ce lien tactile ....

Je suis pour ma part intimmement persuadée que le toucher peut-être considéré comme le sens de l'humanité par excellence.

Je clôturerais cet article par une citation de René Char...

" Je n'ai qu'à prendre ta main pour changer le cours de tes rêves "

Aucun commentaire: